L’une des plus grandes figures de la sagesse et de la connaissance de l’Histoire indienne est Kautilya (aussi appelé Chanakya).
On estime qu’il a vécu de 350 à 283 avant J-C. Il est considéré comme « le pionnier des économistes indiens ». Il a été professeur à l’Université de Takshila (la plus vieille Université du monde située dans l’actuel Pakistan) et était un expert dans le commerce, la guerre, l’économie,…
Kautilya était le conseiller et le premier ministre de l’empereur Chandragupta, fondateur de l’empire Maurya au nord de l’Inde. Il l’a aidé à renverser la puissante dynastie Nanda à Pataliputra, dans la région Magadha.
Son ouvrage le plus célèbre est Artha-shastra (« La Science du gain matériel »), une compilation de presque tout ce qui avait été écrit en Inde jusque-là enrichie par sa propre expérience. Perdu durant des siècle, l’ouvrage fut retrouvé en 1905.
Il traite de l’art de gouverner et de faire de la politique (« la science de la peine ») durant la période considérée comme la plus belle page de l’Histoire indienne. La politique qu’il a contribué à mener est aujourd’hui encore reconnue comme un modèle de gouvernance.
Aristote, Platon, Sun-Tzu, Machiavel, Clausewitz, Bismarck, Hobbes,… la liste des noms auxquels on se réfère régulièrement lorsque l’on évoque Kautilya est impressionnante.
Voici quelques éléments de sa doctrine:
– Comme Marx (21 siècles plus tard), Kautilya pense que la religion est « l’opium du peuple ». Une force qui vise à dépolitiser les masses face au pouvoir étatique, réduisant ainsi le risque de rébellion (donc à utiliser…).
– Comme Hobbes (19 siècles plus tard), il pense que la politique internationale est anarchique, le plus fort l’emporte toujours dans un environnement instable où les empires s’étendent et se rétractent. Sur le plan intérieur, le pouvoir doit émettre des lois justes, claires et respectées par la force si nécessaire.
– Ce dernier point renvoi à Machiavel (18 siècles plus tard) qui insiste sur le risque pour le souverain d’émettre des lois injustes qui provoqueraient la haine de ses sujets.
Comme Machiavel encore, il prône le réalisme politique et l’intérêt national comme intérêt supérieur aux principes moraux. Il conseille ainsi ouvertement le développement d’un système d’espionnage complexe à tous les niveaux de la société et encourage l’assassinat politique et secret.
Mais à l’inverse de Machiavel, Kautilya ne prônera jamais l’expansion territoriale, une doctrine qui se retrouve encore aujourd’hui en Inde (et en Chine).
– Comme Clausewitz (21 siècles plus tard), il pense que la guerre n’est pas une extension de la diplomatie et doit se mener même en temps de paix (« la guerre subtile »). En bref, si on peut gagner, il faut aller à la guerre indépendamment des traités de paix signés antérieurement.
– Comme Thucydide (2 siècles plus tôt), il pense que la demande de négociation est un signe de faiblesse et ne doit être utilisée que pour tromper son ennemi dans l’attente de le conquérir. Son conseil est de tuer le souverain adverse mais de traiter le peuple conquis avec respect en le laissant vénérer ses divinités et vivre ses coutumes pour mieux l’intégrer.
La contribution la plus significative de Kautilya en matière de politique étrangère reste sa «théorie du Mandala», selon laquelle nos voisins immédiats sont des ennemis, tandis que les États de l’autre côté de ses voisins sont des amis. Dans de nombreux cas, cette théorie semble correct, elle explique très bien, par exemple, les relations compliquées qu’entretiennent l’Inde, la Chine et le Pakistan. Cette théorie est encore d’actualité et c’est une excellente grille de lecture même en dehors de la zone Asie.
Il est fascinant de voir l’apport de Kautilya à des idées qui apparaissent en Occident des siècles plus tard sans que ses contributions aient été reconnues à leurs justes valeurs.
Concluons avec la légende de sa mort qui n’est pas non plus inintéressante.
Kautilya ajoutait de petites quantités de poison dans la nourriture de Chandragupta, afin de l’immuniser, de peur qu’un ennemi tente de l’empoisonner.
Cependant, ce dernier, l’ignorant, donna un peu de nourriture à sa femme qui était enceinte de neuf mois. Elle ne survécu pas mais Kautilya lui ouvra le ventre et sauva le bébé.
Ce bébé grandi et devint un empereur nommé Bindusara. L’un de ses ministres nommé Subandhu n’aimait pas Kautilya. Il dit à l’empereur que Kautilya avait tué sa mère sans aucune précision.
Bindusara demanda des explications à Kautilya. En apprenant toute l’histoire, Bindusara se sentit honteux de son emportement hâtif et implora le pardon. Il demanda également à Subandhu d’aller s’excuser auprès de Kautilya.
Subandhu, très rusé, prit ce prétexte d’aller s’excuser pour approcher Kautilya et le tua. Ainsi se termine la vie de ce grand stratège à cause de simples rivalités politiques.
Références:
– Chanakya
http://www.iloveindia.com/history/ancient-india/maurya-dynasty/chanakya.html
– Kautilya
http://www.britannica.com/EBchecked/topic/313486/Kautilya
– Book review: “The First Great Realist: Kautilya and his Arthashastra” by Roger Boesche
http://www.postwesternworld.com/2012/01/21/book-review-the-first-great-realist-kautilya-and-his-arthashastra-by-roger-boesche/